lundi 11 mai 2015

Suivez Mélodie pendant le Mardi Gras de la Nouvelle Orléans




Karine : Mélodie, tu travailles à la médiathèque de Lafayette mais, avant l'ouragan Katrina, tu habitais la Nouvelle Orléans. Tu y retournes souvent pour rendre visite à tes amis et à ta famille, en particulier pendant les célébrations du Mardi Gras. Peux-tu nous dire combien de temps cela dure et quel impact cela représente pour les habitants de « Big easy » ?


Mélodie : Mardi Gras est le moment le plus excitant et le plus perturbateur de l'année à la Nouvelle Orléans. Les parades commencent en général un mois avant Mardi Gras, plutôt le soir et les week-ends dans les faubourgs et la périphérie de la ville. La fête atteint son paroxysme les deux dernières semaines (jour et nuit) dans la ville même. Le programme des parades n'affecte pas les écoles ou l'organisation de la vie quotidienne avant ces deux dernières semaines. C'est à ce moment là que les emplois du temps des commerces peuvent être touchés et les déplacements dans la ville et autour deviennent épineux. Les écoles sont généralement fermées toute la semaine du Mardi Gras, ce qui permet aux élèves et leurs parents de participer aux festivités ainsi que de préparer le carême, très suivi chez nous.


Karine : Qu'est-ce qu'un « krewe » ? Combien en dénombre-t-on à la Nouvelle Orléans ?


Mélodie : Un krewe est un groupe de personnes qui se rassemble pour soit parader dans les rues de la ville soit être invité à un bal "sélect' "pendant la saison du Mardi Gras. Il existe actuellement 63 krewes à la Nouvelle Orléans.
 

Karine : Quel est ton krewe préféré ?



Mélodie : Mes deux chouchous sont Zulu, un des plus vieux, et le plus récent Orphéus.   




Voici le char que j'attends chaque année pour la parade d'Orpheus. Il s'appelle le « Smokey Mary » et représente une locomotive à vapeur. C'est le char du Mardi Gras le plus long de l'histoire et c'est très sympa de le voir rouler dans la rue.

Voici quelques photos du Krewe de Zulu. Un de mes meilleurs amis fait partie de ce krewe et a postulé pour être Monsieur « Big Stuff » pour Mardi Gras 2016…




Le gars à gauche en tenue complète est membre depuis deux ans.





Karine : Que faut-t-il faire pour faire partie d'un krewe ? Cela coûte-t-il quelque chose ?


Mélodie : Pour la plupart, il suffit juste d'exprimer son intérêt pour rejoindre un krewe approché. Pour certains, les personnes sont traitées comme membres d'une société honorifique pour laquelle il faut connaître quelqu'un pour pouvoir s'inscrire. Il y a beaucoup d'argent en jeu quand on fait partie d'un krewe qui défile. Il faut s’acquitter d'une carte d'adhésion à renouveler chaque année.


Des robes et costumes doivent être achétés pour les cérémonies et bals et chaque membre qui défile doit acheter ce qu'il jettera à la foule. Certains krewes exigent un certain nombre de colliers à lancer par personne pour s'assurer que les spectateurs profitent de l'expérience du défilé en ayant une chance de recevoir des colliers tout au long du chemin. Zulu par exemple impose non seulement des objets à lancer en quantité mais aussi que les membres qui paradent fabriquent des noix de coco décorée. C'est une expérience coûteuse d'être membre d'un krewe !


Karine : Et faire partie de la royauté est encore plus coûteux. Pourquoi voudrait-on être la reine d'un krewe si ça coûte si cher ?


Mélodie : A la Nouvelle Orléans c'est un honneur et un privilège d'être roi ou reine d'un krewe. La célébrité et la notoriété attachées au titre peut être considéré comme sans prix pour certains !


Karine : Pourquoi jète-t-on des colliers ? Oú sont fabriqués ces derniers ? As-tu vu le documentaire "Mardi Gras : made in China", oú on voit que les colliers sont fabriqués en Chine et ce qu'on en fait à la Nouvelle Orléans ?


Mélodie : C'est vrai que les colliers du Mardi Gras sont fabriqués en Chine mais je n'ai pas vu le documentaire. Je ne sais pas vraiment pourquoi on jète principalement des colliers, plus « fun » je suppose, mais je pense que la vraie question c'est pourquoi les gens deviennent complètement fous en les voyant ? Je veux dire, ce sont des colliers en plastique ! Sérieux ! Lol !


Karine : Donc, cette fête géante à l'échelle d'une ville est très sympa à vivre mais ce n'est pas un événement écolo, non ?


Mélodie : Pas vraiment. Il y a beaucoup de déchets et plein d'autres choses répugnantes laissés par terre après chaque parade. Cependant, il existe des collectifs maintenant qui tentent de changer ça. J'espère que ça va prendre et faire de cet événement quelque chose de plus respectueux de l'environnement. Pourtant, je ne sais pas comment changer l'urine et les défécations humaines laissées sur les seuils des maisons et dans la rue. C'est juste dégoutant !

Karine : A part les colliers, que peut-on attraper d'autre pendant une parade ?

Mélodie : La liste serait trop longue ! Peluches, chaussures, petits toilettes en plastique !, grands verres en plastique, noix de coco (cf. Zulu), sacs à main, ventouse … omg, je pourrais continuer un bon moment ! Lol !

Karine : Quelle est ta technique personnelle pour attraper un max. de colliers ? Certaines personnes parlent de l'« eye contact », tout est dans le regard ?

Mélodie : Regarder celui qui lance les colliers est très important pour qui veut en attraper ! Les lanceurs semblent chercher une connection visuelle avant de donner les objets. La distance par rapport au char est aussi importante. Si tu es trop loin, tu n'attraperas pas grand chose, si tu es trop près non plus, il y a une juste distance qui permet de tout attraper !

Karine : Est-ce que les écoles participent aux parades ? Avec les krewes officiels ?

Mélodie : Toutes les écoles qui ont une fanfare font s'entrainer les musiciens toute l'année pour pouvoir parader. Ces jeunes travaillent dur et j'admire leur tenacité à répéter autant pour participer aux défilés qui peuvent faire entre 11 et 24 kms de long.

Karine : Comment organises-tu tes journées et tes soirées ?

Mélodie : Mes journées et soirées du Mardi Gras ces deux dernières années ont été consacré à ma meilleure amie, qui vit sur l'avenue St. Charles. C'est une zone privilégiée pour voir la plupart des parades. Je me réveille tôt le matin pour faire le trajet de Lafayette jusque chez elle avant que les rues ne soient bloquées et pour pouvoir me garer convenablement et passer toute la journée et parfois la soirée sur son balcon.

Karine : Qu'est que tu préfères pendant les congés de Mardi Gras ?

Mélodie : KING CAKE ! (la galette des rois en version brioche, avec du sucre glace vert, jaune et violet !)  Lol ! Ça et passer du temps avec des gens que j'aime. Recontacter certains que je n'ai pas vu depuis un moment et passer du temps avec mon père, qui ne participe pas aux festivités.

Karine : Merci Mélodie ! Et bonne préparation du prochain Mardi Gras.







vendredi 13 mars 2015

Les musiques de Louisiane (3) : laissez les bons temps rouler !

Enseigne d'un bar dans le Garden District de la Nouvelle Orléans, sur Magazine street.
Dernier volet de notre trilogie sur les musiques de Louisiane : le Zarico, ou Zydeco pour les anglophones. Si cette musique ne vous fait pas bouger comme un alligator dans un étang de sauce piquante, il faut consulter cher !

La musique entraînante des créoles noirs et métisses s’épanouit principalement dans la province rurale de l'Acadiana, aux côtés de la musique cadienne. Pour des précisions sur l'emploi du terme " créoles " en Louisiane, je vous renvoie sur le blog Un bougre du bayou.


Longtemps absent des radios, le Zarico aurait disparu sans l'intervention de musicologuesCette culture a depuis repris du poil de la bête grâce notamment aux nombreux festivals invitant les artistes à se produire (cf. fin de l'article) ! 

Les premières traces de cette musique datent de 1928. Le Zarico est le cousin noir du style cadien mais un style original avec ses particularismes rythmiques (syncope et blue note (degré altéré de la gamme chromatique)) et instrumentaux (accordéon et frottoir). 

Frottoirs en vente sur le marché du festival acadien et Créole de Lafayette 2011
Pour s'initier au frottoir avec des décapsuleurs, visitez le site de " Key of z rubboards ".

Ses influences proviennent du jazz et des héritages africain, français, indien et antillais. Au début, les créoles noirs s'inspirent des berceuses, ballades, complaintes chantées a capella (“jurées”) mais aussi Calinda (danse du XVIIIème en Martinique et Guadeloupe). Le “French Lala” désignait les premiers bals créoles. " Lala " désignant une dance ou un bal en langue créole.

Si la musique cadienne a été influencée par la country et le rock, le Zarico, lui, a connu l'influence du Blues, du Rythm and Blues et de la Soul. Le producteur cadien Floyd Soileau disait : “Le Zydeco c'est du blues avec un accent”.

La danse : on ne peut rester en place devant un concert de Zarico. Sur sont site internet, C.J. Chenier dit " Quand on joue du Zarico, on voit les chaussures voler à travers la pièce. Vous ne pouvez pas venir à mon spectacle et rester grognon toute la soirée. Vous allez vous dérider et taper du pied assez rapidement. Cette musique rend heureux et fait danser les gens.” 
Regardez votre voisin et lancez-vous ! Deux pas à gauche et deux pas à droite, avec un petit demi-temps pour marquer le déhanché et vous voilà en bonne voie pour vous amuser toute la soirée...


Voici ma sélection de musique Zarico :



1) “Bon temps roulet” par Clifton Chénier :





Maxime traditionnelle des créoles noirs, cette expression incarne l'esprit du carpe diem. Hymne quasi officiel du Zarico, il vous invite à laisser les bons temps rouler (l’orthographe varie car la langue s'est transmise principalement oralement).

J'ai trouvé tout un tas de paroles différentes pour cette chanson. C'est dire si c'est un classique revisité ! Mais je préfère vous conseiller le site de Cajun lyrics qui propose une version bilingue.


Clifton Chénier : " The King ", le père du Zydeco. Né en 1925 aux Opelousas dans une famille de fermiers musiciens, il se considérait comme un français pur souche de la campagne de Louisiane.“Ma musique c'est pas compliqué. C'est rien que de vieilles danses françaises avec un peu de swing pour faire bouger les gens”. Il a toujours dû faire des petits boulots en plus de ses concerts. A l'époque c'était très difficile d'enregistrer des vinyles. Il a joué “Jolie Blonde” (un classique cadien) au Carnegie Hall et pour Reagan à la Maison Blanche. Il est le premier musicien Créole à gagner un Grammy Award (en 1983).
Dans la famille Chenier on est infatigable : Clifton pouvait jouer 4 heures sans pause ! Malgré des hospitalisations répétées pour des problèmes de reins, il est mort pratiquement sur scène en 1987. Son fils C.J. Chenier et son Red Hot Louisiana band a repris le flambeau et fait en moyenne 300 dates par an !


2) " Les (Z)haricots sont pas salés " (faites la liaison) :


Chantée par Clifton Chenier et bien d'autres artistes, cette chanson emblématique de la musique cadienne est à l'origine de l'appelation "zydeco" (haricot-zarico-zydéco). Ce thème est repris par les créoles noirs car ils se reconnaissent dans cette nourriture des populations pauvres où le légume de base n'était pas salé. Le titre signifie qu'ils se débrouillaient pour manger, mais tout juste pour survivre. Pour les français, l'équivalent serait l'expression "mettre du beurre dans les épinards" (ou pas !) Puis le terme " Zarico " devient le nom des bals et enfin de la musique des créoles noirs.
Les paroles sur Cajun lyrics.


3) « Zydeco junkie» par Chubby Carrier et son groupe Bayou Swamp :


Chubby Carrier : né en 1967 dans une famille de musiciens professionnels. Il représente la 3ème génération d'artistes Zydeco. A 15 ans, il était déjà sur scène avec son accordéon. En 1989, il crée le Bayou Swamp band. Il remporte en 2010 un Grammy award dans la catégorie " meilleur album cajun ou zydeco. "

Lien vers les paroles, (dans Store puis Lyrics) où l'artiste dit ses influences rock, soul et blues. Mais aujourd'hui il est drogué au Zarico car c'est la seule musique qu'il souhaite jouer !


4) Geno Delafosse et le French Rockin' Boogie :




Geno Delafosse : la big star ! Lui aussi vient d'une famille de musiciens. Commence par le frottoir, puis la batterie et enfin l'accordéon. Il se réclame, comme tout bon musicien zarico, d'artistes comme Canray Fontenot, Iry Lejeune, Amédée Ardoin (le premier musicien créole à jouer du blues avec l'accordéon).


5) Corey Ledet and his Zydeco band


L'artiste fait ici la promotion de son album "Destiny".

Corey Ledet : originaire du Texas mais proche de la culture créole de Louisiane grâce à sa famille, il joue depuis l'âge de 10 ans en commençant par la batterie puis s'initiant à toutes les sortes d'accordéons. Il intègre toutes les influences des musiques cadienne et zarico en modernisant le style. Aujourd'hui il vit en Louisiane.

Photo prise au Café des Amis (Pont Breaux) pour un brunch dansant à 8h du matin !


6) La Charité par Cédric Watson

Dans cette vidéo, les musiciens interprètent « La Chanson des Mardi Gras ». Un thème repris pendant le courir du Mardi Gras par les participants afin de demander de la nourriture aux fermes visitées. Le mélange de ce qu'ils auront glané va devenir un Gumbo, soupe traditionnelle cadienne. C'est le nom de cette soupe que Cédric Watson utilise lors de son interview pour parler des différentes influences de son groupe Bijou Créole, entre cadien, country, R&B, jazz et créole. Il raconte également son enfance pauvre avec sa grand-mère texane. Après avoir écouté des albums de musique cadienne, Cédric a convaincu sa grand-mère de lui acheter sa première guitare, puis son premier violon, à 18 ans. Un magnifique cadeau, bien utilisé ! Il joue également de l'accordéon et grossi les rangs des défenseurs, par la musique et sa langue française, de la culture créole noire en Amérique.


Pour finir, il faut savoir que tous les artistes de Louisiane jouent énormément, dans la rue, les clubs et les nombreux festivals. Ils sont rompus à l'exercice de la musique live et paraissent infatigables. C'est un vrai bonheur de les écouter ... en dansant !



Autres groupes de Zydeco :
Gamblers, Road Runners, Cha Chas ou Bad Boys, ...


Ecouter du Zarico en concert :




Liste des lieux de concert à Lafayette : http://www.lafayettetravel.com/ideas/itinerary-ideas/music-mecca

Dont les indispensables :
Festival Acadien et créole : http://www.festivalsacadiens.com/

Festival International de Lafayette : https://www.festivalinternational.com/site.

A lire : Les Haricots sont pas salés de Philippe Krümm et Daniel Rouiller (Editions Silène)
Ressources : 
"Louisiane, musique cajun, zydeco et blues" Sebastien DANCHIN, PUF, 1995. 
L'excellent film de M. Gladu : « Marron, la piste créole en Amérique ».