lundi 11 mai 2015

Suivez Mélodie pendant le Mardi Gras de la Nouvelle Orléans




Karine : Mélodie, tu travailles à la médiathèque de Lafayette mais, avant l'ouragan Katrina, tu habitais la Nouvelle Orléans. Tu y retournes souvent pour rendre visite à tes amis et à ta famille, en particulier pendant les célébrations du Mardi Gras. Peux-tu nous dire combien de temps cela dure et quel impact cela représente pour les habitants de « Big easy » ?


Mélodie : Mardi Gras est le moment le plus excitant et le plus perturbateur de l'année à la Nouvelle Orléans. Les parades commencent en général un mois avant Mardi Gras, plutôt le soir et les week-ends dans les faubourgs et la périphérie de la ville. La fête atteint son paroxysme les deux dernières semaines (jour et nuit) dans la ville même. Le programme des parades n'affecte pas les écoles ou l'organisation de la vie quotidienne avant ces deux dernières semaines. C'est à ce moment là que les emplois du temps des commerces peuvent être touchés et les déplacements dans la ville et autour deviennent épineux. Les écoles sont généralement fermées toute la semaine du Mardi Gras, ce qui permet aux élèves et leurs parents de participer aux festivités ainsi que de préparer le carême, très suivi chez nous.


Karine : Qu'est-ce qu'un « krewe » ? Combien en dénombre-t-on à la Nouvelle Orléans ?


Mélodie : Un krewe est un groupe de personnes qui se rassemble pour soit parader dans les rues de la ville soit être invité à un bal "sélect' "pendant la saison du Mardi Gras. Il existe actuellement 63 krewes à la Nouvelle Orléans.
 

Karine : Quel est ton krewe préféré ?



Mélodie : Mes deux chouchous sont Zulu, un des plus vieux, et le plus récent Orphéus.   




Voici le char que j'attends chaque année pour la parade d'Orpheus. Il s'appelle le « Smokey Mary » et représente une locomotive à vapeur. C'est le char du Mardi Gras le plus long de l'histoire et c'est très sympa de le voir rouler dans la rue.

Voici quelques photos du Krewe de Zulu. Un de mes meilleurs amis fait partie de ce krewe et a postulé pour être Monsieur « Big Stuff » pour Mardi Gras 2016…




Le gars à gauche en tenue complète est membre depuis deux ans.





Karine : Que faut-t-il faire pour faire partie d'un krewe ? Cela coûte-t-il quelque chose ?


Mélodie : Pour la plupart, il suffit juste d'exprimer son intérêt pour rejoindre un krewe approché. Pour certains, les personnes sont traitées comme membres d'une société honorifique pour laquelle il faut connaître quelqu'un pour pouvoir s'inscrire. Il y a beaucoup d'argent en jeu quand on fait partie d'un krewe qui défile. Il faut s’acquitter d'une carte d'adhésion à renouveler chaque année.


Des robes et costumes doivent être achétés pour les cérémonies et bals et chaque membre qui défile doit acheter ce qu'il jettera à la foule. Certains krewes exigent un certain nombre de colliers à lancer par personne pour s'assurer que les spectateurs profitent de l'expérience du défilé en ayant une chance de recevoir des colliers tout au long du chemin. Zulu par exemple impose non seulement des objets à lancer en quantité mais aussi que les membres qui paradent fabriquent des noix de coco décorée. C'est une expérience coûteuse d'être membre d'un krewe !


Karine : Et faire partie de la royauté est encore plus coûteux. Pourquoi voudrait-on être la reine d'un krewe si ça coûte si cher ?


Mélodie : A la Nouvelle Orléans c'est un honneur et un privilège d'être roi ou reine d'un krewe. La célébrité et la notoriété attachées au titre peut être considéré comme sans prix pour certains !


Karine : Pourquoi jète-t-on des colliers ? Oú sont fabriqués ces derniers ? As-tu vu le documentaire "Mardi Gras : made in China", oú on voit que les colliers sont fabriqués en Chine et ce qu'on en fait à la Nouvelle Orléans ?


Mélodie : C'est vrai que les colliers du Mardi Gras sont fabriqués en Chine mais je n'ai pas vu le documentaire. Je ne sais pas vraiment pourquoi on jète principalement des colliers, plus « fun » je suppose, mais je pense que la vraie question c'est pourquoi les gens deviennent complètement fous en les voyant ? Je veux dire, ce sont des colliers en plastique ! Sérieux ! Lol !


Karine : Donc, cette fête géante à l'échelle d'une ville est très sympa à vivre mais ce n'est pas un événement écolo, non ?


Mélodie : Pas vraiment. Il y a beaucoup de déchets et plein d'autres choses répugnantes laissés par terre après chaque parade. Cependant, il existe des collectifs maintenant qui tentent de changer ça. J'espère que ça va prendre et faire de cet événement quelque chose de plus respectueux de l'environnement. Pourtant, je ne sais pas comment changer l'urine et les défécations humaines laissées sur les seuils des maisons et dans la rue. C'est juste dégoutant !

Karine : A part les colliers, que peut-on attraper d'autre pendant une parade ?

Mélodie : La liste serait trop longue ! Peluches, chaussures, petits toilettes en plastique !, grands verres en plastique, noix de coco (cf. Zulu), sacs à main, ventouse … omg, je pourrais continuer un bon moment ! Lol !

Karine : Quelle est ta technique personnelle pour attraper un max. de colliers ? Certaines personnes parlent de l'« eye contact », tout est dans le regard ?

Mélodie : Regarder celui qui lance les colliers est très important pour qui veut en attraper ! Les lanceurs semblent chercher une connection visuelle avant de donner les objets. La distance par rapport au char est aussi importante. Si tu es trop loin, tu n'attraperas pas grand chose, si tu es trop près non plus, il y a une juste distance qui permet de tout attraper !

Karine : Est-ce que les écoles participent aux parades ? Avec les krewes officiels ?

Mélodie : Toutes les écoles qui ont une fanfare font s'entrainer les musiciens toute l'année pour pouvoir parader. Ces jeunes travaillent dur et j'admire leur tenacité à répéter autant pour participer aux défilés qui peuvent faire entre 11 et 24 kms de long.

Karine : Comment organises-tu tes journées et tes soirées ?

Mélodie : Mes journées et soirées du Mardi Gras ces deux dernières années ont été consacré à ma meilleure amie, qui vit sur l'avenue St. Charles. C'est une zone privilégiée pour voir la plupart des parades. Je me réveille tôt le matin pour faire le trajet de Lafayette jusque chez elle avant que les rues ne soient bloquées et pour pouvoir me garer convenablement et passer toute la journée et parfois la soirée sur son balcon.

Karine : Qu'est que tu préfères pendant les congés de Mardi Gras ?

Mélodie : KING CAKE ! (la galette des rois en version brioche, avec du sucre glace vert, jaune et violet !)  Lol ! Ça et passer du temps avec des gens que j'aime. Recontacter certains que je n'ai pas vu depuis un moment et passer du temps avec mon père, qui ne participe pas aux festivités.

Karine : Merci Mélodie ! Et bonne préparation du prochain Mardi Gras.







vendredi 13 mars 2015

Les musiques de Louisiane (3) : laissez les bons temps rouler !

Enseigne d'un bar dans le Garden District de la Nouvelle Orléans, sur Magazine street.
Dernier volet de notre trilogie sur les musiques de Louisiane : le Zarico, ou Zydeco pour les anglophones. Si cette musique ne vous fait pas bouger comme un alligator dans un étang de sauce piquante, il faut consulter cher !

La musique entraînante des créoles noirs et métisses s’épanouit principalement dans la province rurale de l'Acadiana, aux côtés de la musique cadienne. Pour des précisions sur l'emploi du terme " créoles " en Louisiane, je vous renvoie sur le blog Un bougre du bayou.


Longtemps absent des radios, le Zarico aurait disparu sans l'intervention de musicologuesCette culture a depuis repris du poil de la bête grâce notamment aux nombreux festivals invitant les artistes à se produire (cf. fin de l'article) ! 

Les premières traces de cette musique datent de 1928. Le Zarico est le cousin noir du style cadien mais un style original avec ses particularismes rythmiques (syncope et blue note (degré altéré de la gamme chromatique)) et instrumentaux (accordéon et frottoir). 

Frottoirs en vente sur le marché du festival acadien et Créole de Lafayette 2011
Pour s'initier au frottoir avec des décapsuleurs, visitez le site de " Key of z rubboards ".

Ses influences proviennent du jazz et des héritages africain, français, indien et antillais. Au début, les créoles noirs s'inspirent des berceuses, ballades, complaintes chantées a capella (“jurées”) mais aussi Calinda (danse du XVIIIème en Martinique et Guadeloupe). Le “French Lala” désignait les premiers bals créoles. " Lala " désignant une dance ou un bal en langue créole.

Si la musique cadienne a été influencée par la country et le rock, le Zarico, lui, a connu l'influence du Blues, du Rythm and Blues et de la Soul. Le producteur cadien Floyd Soileau disait : “Le Zydeco c'est du blues avec un accent”.

La danse : on ne peut rester en place devant un concert de Zarico. Sur sont site internet, C.J. Chenier dit " Quand on joue du Zarico, on voit les chaussures voler à travers la pièce. Vous ne pouvez pas venir à mon spectacle et rester grognon toute la soirée. Vous allez vous dérider et taper du pied assez rapidement. Cette musique rend heureux et fait danser les gens.” 
Regardez votre voisin et lancez-vous ! Deux pas à gauche et deux pas à droite, avec un petit demi-temps pour marquer le déhanché et vous voilà en bonne voie pour vous amuser toute la soirée...


Voici ma sélection de musique Zarico :



1) “Bon temps roulet” par Clifton Chénier :





Maxime traditionnelle des créoles noirs, cette expression incarne l'esprit du carpe diem. Hymne quasi officiel du Zarico, il vous invite à laisser les bons temps rouler (l’orthographe varie car la langue s'est transmise principalement oralement).

J'ai trouvé tout un tas de paroles différentes pour cette chanson. C'est dire si c'est un classique revisité ! Mais je préfère vous conseiller le site de Cajun lyrics qui propose une version bilingue.


Clifton Chénier : " The King ", le père du Zydeco. Né en 1925 aux Opelousas dans une famille de fermiers musiciens, il se considérait comme un français pur souche de la campagne de Louisiane.“Ma musique c'est pas compliqué. C'est rien que de vieilles danses françaises avec un peu de swing pour faire bouger les gens”. Il a toujours dû faire des petits boulots en plus de ses concerts. A l'époque c'était très difficile d'enregistrer des vinyles. Il a joué “Jolie Blonde” (un classique cadien) au Carnegie Hall et pour Reagan à la Maison Blanche. Il est le premier musicien Créole à gagner un Grammy Award (en 1983).
Dans la famille Chenier on est infatigable : Clifton pouvait jouer 4 heures sans pause ! Malgré des hospitalisations répétées pour des problèmes de reins, il est mort pratiquement sur scène en 1987. Son fils C.J. Chenier et son Red Hot Louisiana band a repris le flambeau et fait en moyenne 300 dates par an !


2) " Les (Z)haricots sont pas salés " (faites la liaison) :


Chantée par Clifton Chenier et bien d'autres artistes, cette chanson emblématique de la musique cadienne est à l'origine de l'appelation "zydeco" (haricot-zarico-zydéco). Ce thème est repris par les créoles noirs car ils se reconnaissent dans cette nourriture des populations pauvres où le légume de base n'était pas salé. Le titre signifie qu'ils se débrouillaient pour manger, mais tout juste pour survivre. Pour les français, l'équivalent serait l'expression "mettre du beurre dans les épinards" (ou pas !) Puis le terme " Zarico " devient le nom des bals et enfin de la musique des créoles noirs.
Les paroles sur Cajun lyrics.


3) « Zydeco junkie» par Chubby Carrier et son groupe Bayou Swamp :


Chubby Carrier : né en 1967 dans une famille de musiciens professionnels. Il représente la 3ème génération d'artistes Zydeco. A 15 ans, il était déjà sur scène avec son accordéon. En 1989, il crée le Bayou Swamp band. Il remporte en 2010 un Grammy award dans la catégorie " meilleur album cajun ou zydeco. "

Lien vers les paroles, (dans Store puis Lyrics) où l'artiste dit ses influences rock, soul et blues. Mais aujourd'hui il est drogué au Zarico car c'est la seule musique qu'il souhaite jouer !


4) Geno Delafosse et le French Rockin' Boogie :




Geno Delafosse : la big star ! Lui aussi vient d'une famille de musiciens. Commence par le frottoir, puis la batterie et enfin l'accordéon. Il se réclame, comme tout bon musicien zarico, d'artistes comme Canray Fontenot, Iry Lejeune, Amédée Ardoin (le premier musicien créole à jouer du blues avec l'accordéon).


5) Corey Ledet and his Zydeco band


L'artiste fait ici la promotion de son album "Destiny".

Corey Ledet : originaire du Texas mais proche de la culture créole de Louisiane grâce à sa famille, il joue depuis l'âge de 10 ans en commençant par la batterie puis s'initiant à toutes les sortes d'accordéons. Il intègre toutes les influences des musiques cadienne et zarico en modernisant le style. Aujourd'hui il vit en Louisiane.

Photo prise au Café des Amis (Pont Breaux) pour un brunch dansant à 8h du matin !


6) La Charité par Cédric Watson

Dans cette vidéo, les musiciens interprètent « La Chanson des Mardi Gras ». Un thème repris pendant le courir du Mardi Gras par les participants afin de demander de la nourriture aux fermes visitées. Le mélange de ce qu'ils auront glané va devenir un Gumbo, soupe traditionnelle cadienne. C'est le nom de cette soupe que Cédric Watson utilise lors de son interview pour parler des différentes influences de son groupe Bijou Créole, entre cadien, country, R&B, jazz et créole. Il raconte également son enfance pauvre avec sa grand-mère texane. Après avoir écouté des albums de musique cadienne, Cédric a convaincu sa grand-mère de lui acheter sa première guitare, puis son premier violon, à 18 ans. Un magnifique cadeau, bien utilisé ! Il joue également de l'accordéon et grossi les rangs des défenseurs, par la musique et sa langue française, de la culture créole noire en Amérique.


Pour finir, il faut savoir que tous les artistes de Louisiane jouent énormément, dans la rue, les clubs et les nombreux festivals. Ils sont rompus à l'exercice de la musique live et paraissent infatigables. C'est un vrai bonheur de les écouter ... en dansant !



Autres groupes de Zydeco :
Gamblers, Road Runners, Cha Chas ou Bad Boys, ...


Ecouter du Zarico en concert :




Liste des lieux de concert à Lafayette : http://www.lafayettetravel.com/ideas/itinerary-ideas/music-mecca

Dont les indispensables :
Festival Acadien et créole : http://www.festivalsacadiens.com/

Festival International de Lafayette : https://www.festivalinternational.com/site.

A lire : Les Haricots sont pas salés de Philippe Krümm et Daniel Rouiller (Editions Silène)
Ressources : 
"Louisiane, musique cajun, zydeco et blues" Sebastien DANCHIN, PUF, 1995. 
L'excellent film de M. Gladu : « Marron, la piste créole en Amérique ».




samedi 19 juillet 2014

Les musiques de Louisiane (2) : lâche pas la patate !

Drapeau de l'Acadiana au premier plan, puis celui de la Louisiane et enfin le drapeau américain.

La musique est très riche en Louisiane, particulièrement à la Nouvelle Orléans. Cependant, les artistes ont trouvé d'autres terrains de jeux. La ville de Lafayette, et toute l'Acadiana, conserve et fait vivre des musiques entrainantes à souhait.  Nous allons parler dans cet article de la musique cadienne. Alors, prêts à danser ?!

Tout d'abord, il me semble que c'est principalement grâce à la musique que l'identité culturelle cadienne a su rester si vivante en Louisiane. Depuis les années 80, l'immersion française dans les écoles publiques de l'Etat permet à la jeune génération de relever le défi de comprendre les paroles des anciennes chansons et d'écrire de nouveaux morceaux en français. Les nombreux festivals, où musique et spécialités culinaires sont de mises, représentent autant d'occasion de danser et d'écouter de la musique.


Concert au festival de l'omelette géante (oui, oui !) d'Abbeville.
On trouve dans le sud de la Louisiane, l'Acadiana (province où l'on parle le plus français en Louisiane) 5 à 7 % de francophones. Selon les sources les chiffres varient (beaucoup) entre 260 000 et 700 000 cadiens ! Ils ont composé des chansons qui aujourd'hui font partie du répertoire traditionnel. Nous ne parlerons pas ici des hymnes religieux du dimanche bien qu'ils aient une importance certaine pour une communauté de fervents catholiques.


Pour un rappel de l'histoire des Cadiens, je vous laisse aller sur cet article.

Vocabulaire : 
Le "lâche pas la patate" du titre de l'article correspond à une expression très utilisée et même à une chanson et une danse (les couples doivent faire tenir entre leurs fronts une patate). Elle encourage à tenir bon !

Fais dodo : c'est le nom donné aux bals de maison du samedi soir. A l'époque où les Cadiens étaient des fermiers ou pêcheurs isolés des villes et de leurs voisins, ils organisaient une fête en commun le week-end. L'un d'eux proposait sa maison, la vidait de ses meubles pour faire de la place pour l'orchestre et les danseurs à l'intérieur. Qui savait jouer du violon, qui du triangle qui de la guitare. Les chansons du répertoire étaient connues de tous. C'était, et c'est encore, l'occasion pour les jeunes musiciens de jouer pour un public. Aujourd'hui, on appelle encore "Fais dodo" un bal organisé en plein air le week-end. Mais d'où vient ce nom ? Et bien, à l'origine les familles étaient nombreuses (souvent 10 enfants) et il n'y avait pas de baby sitter. On aménageait une pièce pour que les enfants puissent dormir pendant que les parents dansaient. A la fin du bal, ils allaient discrètement dans la pièce sombre récupérer leur progéniture. On raconte que certains se trompaient d'enfants ! Mais que la messe du lendemain permettait de restituer les bébés à leurs véritables parents...


Les instruments :
Le violon, apporté avant la Révolution par les fils d'aristocrate et de marchands. Mais aussi l'accordéon diatonique (à partir du XIXème via les immigrants d'Allemagne). La guitare (dès 1898, venant du Mexique et du Texas) et la contrebasse. 

Jules, musicien au musée Vermilionville de Lafayette


Au début, il fallait choisir entre l'accordéon et le violon car ils ne faisaient pas bon ménage. Jusqu'au jour où de nouveaux accordéons ont permis de jouer avec les violons. Les violons se retrouvent alors accompagnateurs, au même titre que la guitare. 

Merlin, musicien au musée Vermilionville de Lafayette

Pour le rythme, on utilise le triangle (ou "ti-fer"), les cuillères frappées l'une sur l'autre, la planche à laver (ou frottoir) mais aussi les mains et les pieds. La clarinette, le biniou, la vielle et la trompette sont importés du Poitou et de Bretagne. Le piano étant trop fragile dans un climat subtropical humide et intransportable c'est l'harmonica qui était le plus utilisé pour les bals. Le chant n'est pas très plaisant à écouter dans les vieux enregistrements. Sans micro, l'interprète devait s'égosiller ...


Brève histoire de la musique :
Nous n'avons que peu d'écrits sur la musique cadienne car la transmission se faisait oralement, de génération en génération. Les premiers enregistrements ont lieu grâce aux ethnomusicologues des années 1930. La musique cadienne est un mélange d'influences allemandes, espagnoles, écossaises, irlandaises, antillaises et indiennes à partir d'une base traditionnelle (rondes importées de France, valses et polkas d'Europe centrale, jigs et reels celtes). On retrouve dans la musique cadienne ancienne la tonalité plaintive bluesy inspirée des esclaves notamment. On pense aussi aux ballades et comptines, aux chansons à boire et autres chants de soldats issus de la France du Moyen-Age, de la Renaissance et du XVIIème. Les couplets sont souvent adaptés de nouvelles paroles. "Cadet Roussel" fait partie de ces chansons.


Le premier disque date de 1928 avec les standards "Allons à Lafayette", "Valse qui m'a porté en terre", "Jolie blonde", etc. Puis, la radio a imposé de nouveaux genres de musique comme le western swing, la country que les cadiens ont incorporé en partie dans leur style pour continuer à jouer et faire danser.
1965 marque la renaissance de la musique cadienne traditionnelle chantée en français.. Des labels indépendants voient le jour comme "Fais dodo", "Cajun classics" ou "Kajun". Mais le rock'n'roll constitue une vraie menace pour l'identité culturelle cadienne. Pour empêcher cette musique de tomber dans l'oubli il a fallu l'aide des ethnomusicologues pour pousser les programmateurs de concerts à considérer la musique cadienne comme folk, l'encouragement du festival de musique cadienne dès 1974, l'engagement du violoniste Dewey Balfa et la création du CODOFIL en 1968 pour la préservation du français à l'école publique (programme d'immersion française). Aujourd'hui, des artistes comme Michael Doucet, Zachary Richard ou Wayne Toups font évoluer leur musique tout en se réclamant de la tradition francophone.



Ma sélection de titres :
1) Pour une vidéo du tube cadien "Dans la porte en arrière" par le groupe Jambalaya (les vieux de la vieille !) et un court extrait du jeune groupe Feufollet, rendez-vous à l'article "Downtown Lafayette".

La version avec le compositeur DL Menard :


Il dit que c'est sa chanson préférée. Elle raconte ses escapades, à toujours passer par la porte de derrière après le bal ou même pour sortir du bureau du shériff après une interpellation !

2) Trouvez dans cet article la vidéo de la chanson du Mardi Gras cadien lorsqu'on demande la charité ainsi que toutes les explications concernant le contexte.


3) Zachary Richard et l'émouvante chanson « Réveille » :


Le tee-shirt du deuxième chanteur rappelle la date du Grand Dérangement : 1755.
Les paroles sont sur son site officiel. Toute la trajectoire des Acadiens y est contée. Les goddams sont les Anglais. Beausoleil est un Acadien résistant qui a pu survivre dans la nature avec un petit groupe en échappant au Grand Dérangement, grâce aux Indiens Micmacs. Après bien des péripéties, il a pu monter en 1975 une expédition avec 5 navires afin de s'établir en Louisiane avec ses congénères. Hélas, il meurt de la fièvre jaune peu de temps après. Il a permis a beaucoup de familles de s'installer dans une contrée francophone et catholique hospitalière.

Tombes commémoratives au mémorial des Cadiens à St Martinville

4 ) Joseph Falcon “Allons à Lafayette »


Cette chanson parle de l'exode rural du début du XXème siècle, quand les Cadiens sont allés travailler dans les complexes pétroliers de Lafayette mais aussi Baton Rouge (la capitale). Pour les paroles, c'est sur le site Cajun lyrics.

5 ) Hank Williams et le tube « Jambalaya - on the bayou » (en anglais) :


Il dit qu'il rejoint sa chérie Yvonne pour une fête sur le bayou. Au menu, les spécialités culinaires : Jambalaya, tarte aux écrevisses et soupe Gumbo. Typiquement louisianais !

6) Austin Pitre : « Bayou teche two steps »


Les paroles traduisent la souffrance d'un homme qui ne comprend pas pourquoi sa chérie le laisse tomber...
Le "two step" du titre est une indication pour les danseurs. Il faut faire deux pas à droite puis deux pas à gauche. L'autre rythme pour les danseurs est le 1-2-3 de la valse.

Danseurs au Crawfish festival, festival d'écrevisses de Pont Breaux


7) Feufollet : ”Au fond du lac”
 

On passe à la jeune génération avec ce groupe issu de l'immersion française. Cette chanson parle (encore !) de l'amour qui tourne mal... Les paroles (et des vidéos) sur leur site.

8) Lost Bayou Ramblers : "Carolina blues”

Je les adore ! Enregistrée au Blue Moon Saloon de Lafayette, c'est encore une chanson sur l'amour déçu. Vous trouverez les paroles sur leur site.

9) Bonsoir Catin : “Mon aimable brune”

Un groupe de filles ! A savoir : une catin en français cadien veut dire une poupée. Dans cette chanson à boire, l'amour et le vin sont honorés comme il se doit. Retrouvez les en vidéo sur cette page de leur site.

10 ) Horace Trahan : “People here know how to party”


Cette chanson bilingue parle d'une chose essentielle chez les Cadiens : ils savent faire la fête ! Après avoir travaillé dur toute la semaine, la famille se réunit et célèbre le week-end en musique et en danse. J'aime particulièrement Horace Trahan car il s'est ouvert à d'autres styles de musique comme le reggae et le Zydeco (prochain articles dans cette série sur les musiques de Louisiane). Sont site est très sympa et on peut y découvrir d'autres vidéos.

Autres groupes et artistes à découvrir :

- Sonny Landreth
- Hadley J. Castille
- Michael Doucet
- Pine Leaf Boys
- Steve Riley and the Mamou Playboys
- Joel Savoy
- Les Malfecteurs
- Yvette Landry (country)





Les lieux que nous avons testés :

Breaux bridge :
Café des Amis (brunch du dimanche matin)

A Eunice :
Liberty center

 
A Lafayette :
Randol's
Downtown alive ! (place Sans Souci ou place Internationale)
The Feed and Seed
Vermilionville tous les dimanches + Jams (boeufs) les samedis
Blue Dog Café (brunch du dimanche matin)
Blue Moon Saloon.

Retrouvez ces lieux pour danser et écouter de la musique "live" à Lafayette.
Toujours à Lafayette, ne ratez pas les Festival Acadien et créole, Festival International. 
 
Affiche de l'édition 2010

Édition 2012


Si vous ne pouvez traverser l’Atlantique, peut-être irez vous en Bourgogne (Saulieu) en août pour ce festival unique en France.
ou... écoutez le français cadien en direct sur les web-radios (attention au décalage horaire : - 7 heures) :

KRVSBonjour Louisiane

Bibliographie :
"Louisiane, musique cajun, zydeco et blues" Sebastien DANCHIN, PUF, 1995.

Pour quelques dollars de plus, demandez votre plaque d'immatriculation cadienne !

jeudi 12 juin 2014

Les musiques de Louisiane (1) : la Nouvelle Orléans





Pour les trois prochains articles, je vais explorer modestement trois sortes de musiques très vivantes en Louisiane : celle des Mardi Gras Indians et des " Second Line " de la Nouvelle Orléans, puis celle des Cadiens et enfin le Zarico ou Zydeco créole.


Mais avant de commencer avec les Mardi Gras Indians, je voudrais parler de la musique en Louisiane en général. C'est en effet une expérience à part entière de vivre en Louisiane et d'être le témoin de tant de festivals tout au long de l'année. On apprécie tout de suite l'ambiance, la convivialité (aidé par les bons plats préparés pour l'occasion, la danse) mais aussi le côté intergénérationnel qu'on ne retrouve pas forcément en France (où peu de genres rassemblent tous les âges et toutes les catégories de personnes). La musique en Louisiane est donc l'expression d'un art familial  (sans compter que la plupart des musiciens le sont de génération en génération et commencent très tôt à se produire) et d'un penchant très marqué pour la fête. Elle représente aussi la diversité de ses peuples. Mélangez amérindiens, africains (de l'ouest principalement) dont certains sont passés par Haïti et Saint Domingue, et européens (français, espagnols, anglo-saxons, italiens, allemands) et vous obtiendrez des musiques aux styles singuliers et attachants.

Ce qui unit toutes ces personnes aux influences variées c'est la culture francophone (300 ans de présence française) et catholique, tournée vers la chaleur des Antilles-Caraïbes.

Les Mardi Gras Indians :

J'avais déjà parlé d'eux dans cet article.

Détail d'un habit d'indien du Mardi Gras


Des chants et danses sont associés à la parade des indiens du Mardi Gras.Voici ma sélection de chants typiques :  

1) " Professeur Longhair " chante Mardi gras in New Orleans. La chanson raconte " Je vais à la Nouvelle Orléans voir le Mardi Gras et le roi Zulu.  Je me poste entre les rues Dumaine et Rempart pour voir la reine Zulu ". Pour en savoir plus sur les parades et les rois Rex et Zulu lisez cet article.

A la parade du roi Zulu on vous lance des noix de coco qui portent bonheur. Attention à bien les rattraper !



Professeur Longhair : on l'appelait « Prof » car c'était un grand maître du piano. Et on imagine que dans sa jeunesse il avait les cheveux long ! Professeur Longhair a beaucoup appris de sa mère, qui savait jouer de nombreux instruments. Chanteur et pianiste de blues à la Nouvelle Orléans ou NOLA pour les intimes (New Orleans LouisianA), il invente un nouveau son dans les années 1940 et mélange les rythmes syncopés de NOLA, le groove afro-cubain et le blues. Il devient plus funk dans les années 70. Il reste le pianiste le plus influent de NOLA, le maître à penser de toute une génération d'artistes dont Fats Domino, Dr John, Allan Toussaint.  Il est mort en 1980.

2) Hugh laurie (plus connu sous le nom Dr. House !) chante Tipitina dans son album "Let them talk" (que je recommande). Cet air est une reprise de Professeur Longhair. Tipitina est le nom d'un club de musique à NOLA. Un must !

Photo de Laurence Mahé.




3) Iko Iko : le titre évoque des paroles en argot de Louisiane, mélange de mots indiens et de mots africains. "Yaya" par exemple veut dire fiancée.



La chanson parle de deux porteurs de drapeau, de deux parrain et  marraine qui se disent " je vais te mettre le feu " ! Cela montre les rivalités entre groupes. Les porteurs de drapeaux sont des membres de la tribu indienne du Mardi Gras. Il est aussi dit "On va s'amuser pendant le Mardi Gras".

4) Un classique du Professor Longhair, repris par le Dirty Dozen brass band (pas de vidéos d'eux sur you tube malheureusement) : Big Chief

Chaque tribu a son chef (cf. photo ci-dessus) mais aussi le second, l'éclaireur, l'espion, le porteur de drapeau, le médecin, etc.

Professeur Longhair et son piano :



5) The Soul Rebels brass band interprètent  504 (c'est le chiffre correspondant à la zone de NOLA quand on téléphone), avec Trombone Shorty en guest star !! Né à Treme (quartier dévasté par l'ouragan Katrina), Trombone shorty baigne littéralement dans la musique dès son plus jeune âge. Il défile dans les parades avec son instrument dès l'âge de 4 ans. A l'époque il ne pouvait pas atteindre toutes les notes avec ses bras de petit garçon. 





Que sont les Brass Bands ?




Pour les enterrements (ou les mariages), on loue les services de cuivres. Les musiciens et la famille forment la first line (première file). Les voisins ou badauds qui suivent constituent la "second line"(seconde file). En allant au cimetière, les musiciens jouent une mélodie lente et solennelle et, sur le chemin du retour, ce sont des sons turbulents de célébration de la vie qui éclatent.
Les instruments : tuba, trompette, trombone, grosse caisse, saxo.
Les Brass Bands font partie intégrante des parades du Mardi Gras :


A la parade du roi Rex, en 2011
Les écoles se produisent également. Quelques uns de ces jeunes musiciens deviendront plus tard des artistes ?



Les dimanches, des associations de quartiers organisent des Second lines. Ces manifestations sont autorisées pour des tranches horaires précises, ce qui demande une organisation très stricte. On peut aussi voir des Brass Bands le soir sur Frenchmen street, à NOLA. Ambiance assurée !

6) Rebith Brass Band : Shrimp and gumbo (référence à la cuisine de Louisiane dont deux des spécialités sont les crevettes - à toutes les sauces - et la soupe nommée Gumbo). Encore un morceau que je vous recommande d'écouter.







Autres Brass bands de NOLA :
-Stooges Brass Band

- Hot 8 BB
- Dirty Dozen BB
- Treme BB
- Brass-A-Holics
- To Be Continued BB


La Nouvelle Orléans est le centre névralgique des musiques populaires noires des Etats-Unis (Blues, jazz, Funk, Rythm and blues, Rock n roll, Soul, Dixie (=sudiste) et hip hop). Mais aussi le rendez-vous de tous les musiciens. Petit tour d'horizon de notre expérience à la Nouvelle Orléans en tant qu'amateurs de bons sons :



Preservation hall
Il faut attendre 30 à 45 min avant d'entrer dans ce temple du jazz. L'acoustique est excellente et les musiciens assurent. Cependant le set de 45 min. m'a semblé trop court. Un côté boite à touristes un peu désagréable...

Palm Court

C'est un restaurant, bar où l'on peut écouter du très bon jazz et même danser. La propriétaire est une dame âgée délurée et passionnée. Elle fait passer aux musiciens vos suggestions. Bonne adresse !
Pat O'Brian

Réputé pour son cocktail très sucré, le "Hurricane" (ouragan !), le Pat O'Brian dispose d'une grande terrasse extérieure et d'une salle climatisée où deux pianistes recueillent vos demandes et les jouent de façon endiablée ! On passe un très bon moment mais il est difficile de trouver une place assise. A savoir : le bar vous fait payer le verre de cocktail. Vous pouvez vous le faire rembourser en le retournant au serveur.
The Spotted Cat
Notre endroit préféré est le Chat à pois ! On y entre gratuitement (il faut prendre un verre quand même et donner son obole aux musiciens après chaque set). L'ambiance est excellente et les musiciens toujours très pros. Parfois on peut admirer un couple dansant le lindy hop. Situé sur Frenchmen street, le spotted cat fait partie des clubs à visiter dans cette rue dédiée à la musique (bars mais aussi sur les trottoirs).



Si vous allez à NOLA, prenez le temps d'écouter les artistes de rues. Ils sont étonnants et talentueux. N'oubliez pas de leur donner quelques dollars pour les remercier de leur performance.

Très connue à NOLA je ne me souviens pourtant plus du nom de cette mamie. Sa voix ressemble à celle de Armstrong
Quelques clichés vous résumeront l'atmosphère :











"I am a man of constant sorrow " pour les fans des frères Cohen vous trouverez le film auquel je fais référence.

Je vous conseille cette page du site de l'Office de tourisme de Louisiane : festivals, musiciens célèbres et lieux pour écouter différents types de musique à la Nouvelle Orléans sont recensés.


Avoir foi en la musique c'est croire en la " joie de vivre "*, non ?

*expression emblématique de la Louisiane, utilisée en français.


Bibliographie :
Le guide du routard : " Louisiane et les villes du sud" : bars et clubs où écouter du jazz sont recensés.